CHRONIQUES TARCIENNOISES D’HIER

Les moulins de Tarcienne

LES moulins ?  Vraiment ?
Et bien, oui ! Peut-être !

Le moulin à vent

Aux archives générales du Royaume à Bruxelles, Conseil des Finances, n°1911, existerait un document « Memoire et conditions pour obtenir l’octroi de Sa Majesté, à la fin d’ériger un moulin à vent au village de Tarcienne, pays de Namur, avec mention des titres concernant la banalité de 1291, 1303, 1317, etc. » daté de 1780.

Je ne l’ai pas trouvé en ligne sur le site des AGR (ni même sa référence), un déplacement à Bruxelles sera nécessaire si on veut en savoir plus.


Le moulin à vapeur

Aux archives générales du Royaume, à Namur cette fois, la boîte intitulée « Administration provinciale – 1650 » renferme une imposante liasse de documents consacrés au moulin à vapeur de Tarcienne. Voici les éléments de l’histoire de ce moulin que j’ai pu en dégager.

Le 19 mai 1835, Jean Michel CHAUDRON, habitant de Tarcienne, fait part au Gouverneur de la Province « qu’il a l’intention de construire sur sa propriété au territoire dudit Tarcienne, au lieu dit entre les deux villages, un moulin composé de quatre tournans dont un à émonder l’épeautre et les trois autres à moudre les céréales, lequel serait mû par une machine à vapeur à haute pression, de la force de vingt chevaux »…
Et Jean Michel CHAUDRON de demander au gouverneur « de vouloir bien solliciter l’autorisation nécessaire à cet effet ».

Un mois plus tard, le 19 juin, le Commissaire du district de Philippeville adresse une lettre à «Messieurs les Députés des États de la province de Namur », lettre par laquelle il « sollicite l’autorisation d’établir sur sa propriété audit Tarcienne, un moulin à quatre tournans dont un à monder l’épeautre et les trois autres à moudre le grain et ce, au moyen d’une machine à vapeur ».
À sa missive, le commissaire joint « le procès verbal de l’information de commodo et in commodo et l’avis favorable du conseil municipal » et termine en recommandant d’ « autoriser le sieur CHAUDRON a exécuter son projet ». 

Jean-François PIRET,  le bourgmestre, avait fait afficher à la maison commune, le projet de Jean-Pierre CHAUDRON « par la manière prescrite par l’art. 613 du Code Administratif ». Le 7 juin 1835, à trois heures de l’après-midi, il s’est rendu à la Maison Commune et y a « entendu les habitans-chefs de ménage qui se sont présentés, lesquels ont fait leur déclaration comme suit : « À sept heures du soir, comme il ne se présentait personne et que l’heure fixée pour la clôture était arrivée, j’ai clos le présent procès-verbal » ».

Le 9 juin 1835, l’Administration Communale de Tarcienne, après avoir pris connaissance du procès verbal de l’information commodo et in commodo, déclare ne voir « rien qui s’oppose à ce que la demande du Sieur CHAUDRON soit accueillie ». La déclaration est signée

J[ean] F[rançois] PIRET  M[aximilien] DEFRESNE   
J[ean] B[aptis]te DEJOSEZ           C[harles] BELLAIRE
Ghislain DUMONT 

On peut penser que, peu de temps après, Jean Michel CHAUDRON put débuter la construction de son moulin puis commencer à moudre le grain.

Données techniques.

Afin d’obtenir toutes les autorisations nécessaires à son projet, Jean Michel CHAUDRON  dut bien entendu soumettre son installation à de nombreux tests et fournir aux autorités des documents décrivant les aspects techniques de la machinerie de son moulin, notamment dans le but de veiller à ce qu’elle ne mette en péril les personnes et les biens.

En 1838, il apparut la machine à vapeur était sous-dimensionnée en regard du nombre de «tournants» qu’elle devait actionner. Les « sieurs CHAUDRON frères » firent modifier l’appareil et « subsistuer au cylindre primitif, un autre cylindre d’un plus grand diamètre »
A cette occasion, l’installation dut être expertisée. Cette expertise fut menée par un certain Auguste LIMELETTE. Celui-ci, un ingénieur sans doute, adressa au gouverneur de la province de Namur un long rapport technique dans lequel il exposait les motifs de l’expertise, la description de la machine et la description des essais qu’il avait conduits. 

Je vous ai transcrit, ci-dessous, afin que vous vous fassiez une idée des dimensions de l’installation, un extrait de ce rapport dont l’entête était rédigé ainsi : Mines et usines / 2e division / 3e district / N° 26 / Machines à vapeur.

 […]

Description de la chaudière.

Nombre et forme : 2, cylindriques, à extrémités hémisphériques
Dimensions

  • de l’une : longueur 10 ,00 mètres, diamètre : 1,30 mètre
  • de l’autre : longueur 7,50 mètres, diamètre : 1,30 mètre

Capacité de la première :14,421 met.cub., de l’autre : 11,103 met.cub.
Epaisseur. 11 millimètres
Matière. tôle de fer
Pression habituelle sur le centimètre carré 3,099 kilogr.

Dimensions des soupapes adaptées sur chacune des dites chaudières

Nombre et forme. 2, comiques , à leviers, l’une accessible ; l’autre inaccessible.
Diamètre moyen de l’accessible et de l’inaccessible  4,60 cent.
Surface moyenne de l’accessible et de l’inaccessible  16,61 cent. carré
Dimensions des leviers adaptés aux soupapes des chaudières indiquées ci-dessus, met.
– de la 1e chaudière, petit bras 0,10, grand bras 0,44
– de la 2e chaudière, petit bras 0,10, grand bras 0,44
 Poids à placer à l’extrémité des bras de leviers, kilogr.
– de la 1e chaudière 11,60
– de la 2e chaudière 11,86
Moyen de nourriture. pompe foulante
Force de la machine. 3 chevaux
Date de l’inspection de l’épreuve 2 février 1838
Destination. Pour activer un moulin à farine.

 Remarquons, au passage, qu’au moins l’un des frères de Jean Michel CHAUDRON s’investit dans la gestion de l’entreprise (et peut-être dans le métier de meunier) : dans le document ci-dessus il est clairement question des « sieurs CHAUDRON frères », plus seulement de Jean Michel.

Qu’advint-il du moulin de Tarcienne ?

Les Archives de Namur ne m’ont pas permis d’en savoir plus sur ce que devint le moulin. Il semble qu’il fonctionna très bien pendant quelques années.

D’ailleurs, en 1840, les frères CHAUDRON ont l’intention de faire insatller  une troisième chaudière pour leur moulin, comme en témoigne le rapport d’expertise technique rédigé le 10 mai par  J. POULET, Conducteur des Mines, lequel « estime qu’il y a lieu d’accorder aux sieurs CHAUDRON de Tarcienne l’autorisation de mettre en oeuvre la 3e chaudière » .
Peut-être cette troisième chaudière a-t-elle été installée, rien ne me permet de l’affirmer.

Tout semble donc aller pour le mieux pour les frères CHAUDRON et leur entreprise.

Et pourtant, à peine quatre mois plus tard, le 08 septembre 1840, le Journal de la Belgique publie cette annonce surprenante, en page 4 :

« 814. A vendre ou à louer, à des conditions avantageuses, pour entrer en jouissance de suite, le moulin à farine de Tarcienne, près de Philippeville, monté de six paires de meules et de tous autres accessoires, actuellement d’usage pour faire les farines de premier choix, mû par une machine à vapeur de 40 chevaux. Ce moulin, qui est en bon état sous tous rapports et en pleine activité, suffit à peine au service de sa nombreuse clientelle ; il sera cédé avec ses approvisionnements et fond de commerce. S’adresser au propriétaire ou au notaire CHAUDRON de Gosselies».

Pourquoi le propriétaire, Jean Michel CHAUDRON met-il son moulin en vente seulement quelques semaines après l’avoir probablement équipé d’une chaudière supplémentaire, qu’il est «en pleine activité» et qu’il «suffit à peine au service de sa nombreuse clientelle» ? Mystère… 

En janvier 1841, paraît cette autre petite annonce à la page 4 du journal « L’Émancipation » :

« A VENDRE POUR EN JOUIR DE SUITE. 
Un beau MOULIN A GRAINS, ayant six paires de meules, mu par une machine à vapeur de la force de 40 chevaux, située à Tarcienne-Ahérée, à un quart de lieue de la grande route de Charleroy à Philippeville. Une chaussée conduit de cette route audit Tarcienne.
S’adresser pour le prix et les conditions de la vente et pour tous renseignemens désirables, au notaire MILCAMPS de Schaerbeek, faubourg de Bruxelles ; au notaire CHAUDRON de Gosselies ; MATHYS de Walcourt et AERTS de Liège.
On accordera des facilités pour le payement du prix.             (4536)                 »

Le moulin cessa-t-il son activité ? Je l’ignore. Il ne fut cependant pas vendu car 8 années plus tard (!), nouvelle petite annonce en page 4 de « L’Indépendance Belge » du 5 mai 1849 :

« Moulin à vapeur A VENDRE, à Tarcienne (Namur)
Le jeudi 10 mai 1849, à midi, les CHAUDRON frères feront vendre, dans l’établissement même, par le notaire MATHYS, de Walcourt, un beau moulin à vapeur, composé de six paires de meules, blutoirs et accessoires, avec un beau verger arboré y joignant, d’une contenance d’un hectare 70 ares.
A crédit et aux condition à déclarer.                               556
                        »  

Jean-Michel CHAUDRON décède 4 mois après la parution de cette annonce, à l’automne 1849.

Qui était Jean Michel CHAUDRON, le meunier de Tarcienne ?

Jean Michel CHAUDRON est né à Gougnies le 10 février 1784.
Il avait cinq frères et était l’ainé.
Sa mère, Marie Antoinette DUCOFFRE, était Tarciennoise.

La famille CHAUDRON était probablement assez aisée. Dans la rubrique « profession » de nombreux actes d’Etat Civil des membres de la famille, on trouve censier, propriétaire, rentier, fermier… Pas de journalier ni de domestique comme dans la plupart des familles de l’époque. 

Jean Michel CHAUDRON fut par ailleurs échevin de la commune de Tarcienne. Un article de «L’Indépendance Belge» du 13 décembre 1949 nous apprend qu’un arrêté royal du 11 décembre «nomme le sieur BERNARD (Constantin) , échevin de la commune de Tarcienne, […] en remplacement du sieur CHAUDRON (Jean-Michel), décédé». 

Jean Michel CHAUDRON est décédé à Tarcienne le 25 septembre 1849.

L’acte de décès de Jean Michel CHAUDRON est rédigé comme suit :

Du Vingt-sixième jour du mois de Septembre mille huit cent quarante-neuf, à huit heures du matin
ACTE DE DÉCÈS de Jean Michel Joseph CHAUDRON , célibataire,

Décédé le vingt cinquième courant à quatre heures de l’après-midi, profession de meunier âgé de soixante-six ans, né à Gougnies, province de Hainaut, demeurant à Tarcienne, province de Namur, fils de feu Jean Baptiste CHAUDRON, profession de propriétaire domicilié en dernier lieu audit Tarcienne, et de feue Antoinette DUCOFFRE, profession de propriétaire, domiciliée en dernier lieu au même lieu.
Sur déclaration faite par Nicolas Joseph CHAUDRON, âgé de cinquante-neuf ans, demeurant audit Tarcienne, profession de propriétaire, qui a dit être frère du défunt et par Jean François PIRET, âgé de quarante-six ans, demeurant au même lieu, profession d’instituteur primaire, qui a dit être informé de la mort du défunt.
Constaté suivant la loi, par moi, Auguste DUPONT, Bourgmestre faisant les fonctions d’officier public de l’état civil de la commune de Tarcienne et après lecture faite aux déclarants, ils ont signés avec moi

J.F. PIRET                              A. DUPONT                          N.J. CHAUDRON

Ou le moulin se trouvait-il ?

Nous avons vu que dans sa lettre  du 19 mai 1835, Jean Michel CHAUDRON informe le gouverneur de la province de Namur de son intention de construire un moulin à Tarcienne, au lieu dit « Entre les Deux Villages »  .

Sur la carte dite « Vandermaelen » établie vers 1850 le moulin est clairement indiqué. C’est d’ailleurs l’unique bâtiment que l’on trouve entre Tarcienne et Ahérée.

Remarquons au passage que Vermaelen nous montre qu’à cette époque il y avait aussi, dans le virage que fait la rue du Centre face à l’étang du château, un pressoir à huile. Et une brasserie à Ahérée (à moins que l’indication « Brasse » signifie autre chose que « Brasserie »).

L’atlas des voieries vicinales de 1841 ne mentionne pour le bâtiment qui abrite le moulin qu’un seul numéro, ce qui laisse à penser qu’il était la propriété d’un seul homme ou d’une seule famille.

On retouve cette maison sur le plan cadastral de 2024. Mais il n’est plus la seule bâtisse qui s’élève « entre les deux villages », tant s’en faut ! Et aujourd’hui  quatre logements occupent ce qui semble bien avoir été la propriété de  Jean-Pierre CHAUDRON qui y installa son moulin.


Vous savez maintenant pourquoi ce petit quartier de notre village est connu des Tarciennois sous le vocable «  Le Moulin » !

Sources