CHRONIQUES TARCIENNOISES D’HIER

La croix de Lucien Mathigot (Première partie)

La « croix » 

Il y a quelques années, alors qu’ils étaient probablement en train de procéder à des travaux de voirie au lieu dit « Lumsonry », à la limite des anciennes communes de Tarcienne et Nalinnes, des ouvriers communaux de la ville de Walcourt ont mis à jour une croix en pierre ou, plutôt, un fragment de croix en pierre qui portait l’inscription suivante :

SOLDAT FRANÇAIS
MATHIGOT LUCIEN
5. REG. INF.

La « croix » telle qu’elle fut remise à 
Jean-Luc Liessens par les ouvriers 
communaux de la ville de Walcourt.
(Photo Marc Dumont)                  

Les ouvriers walcouriens, pressentant que cet objet pouvait revêtir quelque importance symbolique, voire historique, confièrent la croix à Jean-Luc Liessens, habitant de Tarcienne et, à l’époque, échevin de la ville de Walcourt.
Celui-ci rangea soigneusement l’objet, ne sachant pas trop qu’en faire.
Après quelque réflexion, il prit la décision de le remettre à Anthony Dautel, un autre tarciennois, très impliqué dans les mouvements patriotiques locaux. Descendant de deux soldats de la grande guerre, l’un du côté paternel, l’autre du côté maternel, il était et est toujours en effet très actif dans les associations patriotiques locales.

Anthony comprit très rapidement que l’objet pouvait être le fragment d’une croix ou d’une petite stèle élevée sur la sépulture d’un soldat français qui avait pris part à la très meurtrière bataille de Charleroi dont les villages, entre autres, de Somzée, Nalinnes et Tarcienne furent de sanglants théâtres.
Que faisait cette croix à cet endroit ? Pourquoi Lucien MATHIGOT n’avait-il pas bénéficié d’une sépulture dans le cimetière militaire de Tarcienne, tout proche ?

Sur cette carte (actuelle), le lieu-dit « La Praile » à Nalinnes, proche de l’endroit où fut retrouvée la croix, à Tarcienne. Á quelques centaines de mètres, au nord-est de La Praile, le cimetière militaire.

Anthony estima alors que le croix gravée dont il avait hérité devait trouver sa place dans le cimetière militaire de Tarcienne et n’eut dès lors plus de cesse à remplir cet objectif.
Après nombre de contacts avec les autorités locales, belges, françaises, allemandes qu’il fallait convaincre de replacer la croix de Lucien Mathigot dans le cimetière militaire de Tarcienne, sa persévérance fut récompensée: la croix fut fixée dans le mur droit de la chapelle qui accueille les visiteurs à l’entrée du cimetière.

La chapelle, à l’entrée du cimetière militaire de Tarcienne
(Photo Marc Dumont)

Sur le mur droit de la chapelle, solidement fixée, la croix de Lucien Mathigot
(Photo Marc Dumont)

Lucien Henri MATHIGOT.

Peu de temps après que Jean-Luc Liessens ait transmis la croix à Anthony Dautel, celui-ci vint m’en parler. Tarciennois également, amateur d’histoire locale et de généalogie, rompu à ce type d’investigations, je fus instantanément intéressé et intrigué par le récit d’Anthony.

Je me mis immédiatement à la recherche de Lucien MATHIGOT, ce soldat français qui, semblait- il, vint mourir, pour sa patrie, sur la terre de Nalinnes ou de Tarcienne. Ce qui allait être confirmé.

Il m’apparut logique d’orienter mes premières investigations vers les archives militaires. J’eus bien vite trouvé, sur le site Internet des Archives de Paris, la fiche de recrutement du soldat Lucien MATHIGOT.

Cette fiche, riche en informations, m’apprit que Lucien Henri MATHIGOT était brasseur. 

Elle donnait aussi une succincte et froide description de la physionomie du soldat :« che-veux : noirs, yeux jaunes , front :haut, fuyant, nez : rectiligne, gros, visage : rond, taille : 1 mè-tre 74 centimètres, renseignements physionomiques complémentaires : menton à fossette » et nous apprenait qu’ill était né le 10 mars 1893 au domicile de  ses père et mère, Eugène Émile MATHIGOT et Adrienne CITEL qui demeuraient au n° 6 de la rue Berzélius, dans le dix-septième arrondissement de Paris, département de la Seine (aujourd’hui le département des Hauts-de-Seine).

Rue Berzélius à Clichy,  rue natale de Lucien MATHIGOT

Le 09 août 1913, Lucien MATHIGOT avait épousé Charlotte Élise Joséphine POTHRON. Il avait 20 ans.
Le 27 novembre 1913, il était incorporé au 5ème régiment d’infanterie avec le grade de soldat de 2ème classe, matricule 5461.

Enfin, la fiche précisait : « Tombé au champ d’Honneur le 23 Août 1914, au Combat de la Praile ». Lucien MATHIGOT n’avait que 21 ans.

Les nombreuses informations délivrées par la fiche de recrutement m’ont permis de retrouver les actes de naissance, de mariage et de décès de Lucien MATHIGOT. Ils ne n’apportent pas de nouvelles informations significatives à propos de Lucien, juste quelques détails au sujet de ses parents et de son épouse.

L’acte de naissance de Lucien nous apprend en effet , qu’en 1893 ses père et mère étaient respectivement cocher et sans profession.  Son acte de mariage nous dit qu’en 1913, ils étaient imprimeur et concierge. Ils habitaient alors encore avec lui au n°139 Boulevard National à Clichy.

Quant à Charlotte Élise Joséphine POTHRON, son épouse,  elle est née à Courbevoie, le 8 décembre 1895. Lorsqu’elle s’est mariée, son père était déjà décédé. Elle vivait jusque là au n° 54 de la rue de Neuilly à Clichy, avec sa mère, Élise Pauline Joséphine LÉPINE, blanchisseuse.

Ce que la fiche ne dit pas, c’est que le couple MATHIGOT- POTHRON avait eu un fils, Louis, né le 7 septembre 1913. Élise n’avait que 17 ans.

Un acte de décès de Lucien MATHIGOT avait été dressé dans le  registre d’État Civil régimentaire 1914 – 1918  n°4372 tenu au 5e régiment d’infanterie le 13 janvier 1915, sur la déclaration d’un certain Louis Moreau, sergent major de la 10ème compagnie. Il indique que Lucien Henri MATHIGOT est décédé à la Praile de Nalinnes […] par suite de blessure de guerre.

D’autres sources font cependant état du décès de Lucien MATHIGOT , comme le Journal Officiel de la République Française du 23 août 1923, neuf ans après sa mort ou le ministère français des armées.

L’acte de décès de Lucien a été reporté à l’état-civil de Clichy le 08 octobre 1917:

Si je résume:
Le 09 août 1913, Lucien MATHIGOT et Élise POTHRON se marient.
Le 07 septembre 1913, ils accueillent un fils, Louis.
Le 27 novembre 1913, Lucien est incorporé au 5ème régiment d’infanterie.
Le 23 août, Lucien meurt à Nalinnes…

Jeune marié, jeune papa, jeune… martyr !

Nulle part je n’ai trouvé la moindre indication quant à l’endroit où Lucien Henri MATHIGOT fut inhumé. 

Par exemple dans la base de données du site In Flanders Fields, très documentée, le soldat Lucien MATHIGOT a bel et bien été enregistré.

Mais aucun lieu de commémoration ou d’inhumation ne figure dans les données  disponibles.

Lucien MATHIGOT fut pourtant inhumé puisqu’une croix de pierre portant ses nom et prénom a été retrouvée. Mais où a-t-il été enterré ? Près de l’endroit où la croix a été retrouvée ? Si c’est le cas, qu’est devenue la sépulture ? Qu’est devenue la dépouille mortelle ?  Et  cette croix, cette pierre soigneusement gravée, elle ne fait guère penser à une de ces sépultures « de fortune » souvent surmontées de croix de bois, propres mais sommaires.

J’eus bientôt réponse à toutes ces questions grâce à…